Parcours fluo, pilules en vitrine et réalités augmentées : immersion dans un salon pas comme les autres.
Dans un hangar désaffecté aux portes d’une ville qu’on taira, des néons violets s’agitent dans la brume synthétique. Une file s’allonge devant un rideau noir, sous une enseigne clignotante : TRIP STATION. Certains parlent d’un festival, d’autres d’un marché. En réalité, c’est un peu les deux. Ici, on ne vend pas des souvenirs, on vend de l’oubli conditionné, encapsulé, pressé, designé.
Bienvenue dans le temple éphémère des pilules qui envoient loin, très loin.
Dès l’entrée, un comptoir propose le Trip Menu : un catalogue soigné, à mi-chemin entre une carte de cocktails et une ordonnance de fiction. Chaque pilule a son petit nom :
Moonkiss™ : euphorisant social, effet « câlin collectif »
Nebula One™ : psychédélique visuel, pour les amateurs de paysages intérieurs
Zero G™ : dissociatif total, sensation de flotter hors du corps
EchoDrop™ : pour « entendre les pensées qu’on n’ose pas penser »
Les vendeurs, appelés pilonautes, portent des combinaisons argentées et conseillent les visiteurs en fonction de leur « état mental de base ». Tu veux échapper à la routine ? Tester la mort sans y rester ? Explorer ton passé ? Il y a une pilule pour ça. Il y a toujours une pilule pour ça.
Derrière les stands de vente, on trouve les Chambres d’Essai : de petites capsules immersives, insonorisées, équipées de lumières douces et de sons binauraux. Les usagers peuvent y vivre leur trip dans un confort hygiénique, surveillés à distance par des « guides neuronaux » — sorte de shamans connectés à une IA.
Une voix dans l’enceinte murmure :
« Vous allez bien. Vous êtes ici pour vous découvrir. Fermez les yeux. Respirez. Vous êtes dans Trip Station. »
Officiellement, tout est légal ici. Les produits vendus sont « en cours d’homologation expérimentale », les utilisateurs signent des décharges, les doses sont surveillées. Mais tout le monde sait que Trip Station marche sur une fine frontière entre festival de la conscience et supermarché de l’évasion.
Certains dénoncent un Disneyland pour esprits fragiles, une dérive techno-libertaire où l’on vend du rêve en comprimé. D’autres y voient une avancée vers une consommation consciente de l’illusion. Une forme d’art. Une thérapie sauvage.
Les visages sont flous. Certains sourient béatement, d’autres vacillent, le regard encore loin. Au stand souvenirs, on vend des patchs thermiques, des lunettes anti-vertige, et des carnets de trip pour consigner ce qui ne peut pas être raconté. On t’offre un autocollant :
« J’ai décollé à Trip Station. »
Tu repars en silence, l’esprit vidé ou amplifié. Peut-être les deux. Dans ta poche, une pilule oubliée.
Un salon du futur ? Une critique du présent ? Une parabole sur notre besoin collectif de déréalisation ?
Ou juste un endroit où, pour quelques heures, la gravité n’existe plus.